"Je sais bien qu'il ne faut pas tenter le diable": parce qu'il n'aimerait pas voir sa ferme "visitée" par des militants antispécistes ou des voleurs de matériel, Didier Gilbert, éleveur breton de vaches et de volailles, a accepté la main tendue des gendarmes venus lui expliquer comment se protéger.
En cette après-midi de décembre, l'éleveur installé à Corps-Nuds, dans un coin perdu à une vingtaine de kilomètres au sud de Rennes, a rendez-vous avec un gendarme. Avec un collègue, l'adjudant Benoît Croguennec référent sûreté gendarmerie, vient visiter la propriété de ce fermier de 56 ans, dont le chien aboie à l'arrivée des inconnus. Objectif : établir un diagnostic et une liste de préconisations pour protéger l'exploitation. Et ainsi dissuader les intrusions.
De nouvelles habitudes à adopter
Le gendarme Croguennec, qui a longtemps exercé à Janzé, sait bien que les habitudes ont la vie dure chez les agriculteurs. Et Didier Gilbert ne fait pas exception. Sur une porte en fer donnant sur la route qui coupe en deux la ferme, on peut lire "Élevage agréé", et aussi... un jeu de clés laissé dans la serrure, bercé par le vent. Didier Gilbert n'y voit aucun souci. "Je sais bien qu'il ne faut pas tenter le diable. Si je ne suis pas là, les portes chez moi sont fermées, c'est comme ça", explique-t-il au gendarme devant une tasse de café serré. Et quand il travaille, le quinquagénaire ne craint pas les intrus. "Quelqu'un qui vient chez moi et me demande quelque chose, je lui dis oui. Quelqu'un qui vient sans me demander, je le mets dehors", prévient-il.
Fier d'avoir tout installé lui-même, notamment les barrières d'accès aux deux parties de sa ferme, il reconnaît que tout n'est pas parfait, mais écoute volontiers les conseils bienveillants du gendarme. En 35 ans de métier, Didier Gilbert, un homme à la carrure imposante, aux cheveux dégarnis et fines lunettes, n'a jamais connu de vols ni les agressions parfois violentes dont certains de ses collègues sont victimes. Mais comme beaucoup d'éleveurs il se dit "vigilant", et se sait vulnérable.
Des outils contre l'agribashing présentés par Christophe Castaner
Un sujet brûlant pour le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner venu ce vendredi à Saint-Pabu dans le Finistère présenter les nouveaux outils mis en place par les pouvoirs publics pour protéger les agriculteurs contre l'"agribashing". En 2019 quelque 14.500 faits délictueux contre les agriculteurs ont été recensés par la gendarmerie, avec notamment un vol de tracteur par jour, et plus de 1.000 actions de militants anti-spécistes, ont précisé les autorités à l'occasion de ce déplacement.
10% d'actes de malveillance en plus cette année
En Ille-et-Vilaine, le gendarme Croguennec va aux devants des agriculteurs: le 29 novembre, à Saint-Didier près de Rennes, il est venu expliquer devant une vingtaine d'entre eux comment "combattre l'intrusion" à l'aide de lumières, pièges photo, caméras, obstacles. Car si les opérations menées par les associations animalistes comme L214 ou DxE restent rares, partout dans la région les actes de malveillance (vols, dégradations) sont en hausse, avec +10% pour les faits constatés sur un an, selon la gendarmerie.
Des agressions et aussi du vol de matériel (roues de tracteur, outillage, consoles GPS...) qui presque toujours "part pour l'Europe de l'Est", selon le gendarme Croguennec et "le préjudice peut vite atteindre plusieurs milliers d'euros et mettre en péril la pérennité d'une exploitation".
Demeter, une nouvelle cellule de gendarmerie
Devant le hangar qui abrite le tracteur, l'adjudant rappelle les règles élémentaires : fermer le véhicule "pour éviter le vol d'accessoires", "retirer la clé". Il préconise des éclairages de détection contre les intrus, de condamner la cuve à fioul, et de "verrouiller la porte d'accès à l'élevage de volailles". Pas seulement pour décourager les antispécistes mais d'abord "pour respecter la réglementation". Et d'inciter le fermier à signaler à la gendarmerie tout comportement anormal : des renseignements pris en compte par la cellule de la gendarmerie Demeter mise en place en octobre pour désigner des phénomènes naissants, et alerter par SMS les agriculteurs et identifier des auteurs.
"Je n'ai rien à cacher, mais cela a des limites tout ça", commente Didier Gilbert, les mains rougies par le froid et le travail, après avoir fait visiter sa ferme et donné à manger à sa trentaine de vaches allaitantes. Suivra-t-il les conseils du gendarme ? Le fermier rechigne à répondre: "J'y pense, j'y réfléchis".